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Interview de Alain Claude Sulzer, auteur du livre "Une autre époque"

Jeudi 11 Aout 2011

L'écrivain suisse Alain Claude Sulzer, prix Médicis étranger pour «Un garçon parfait», raconte dans un admirable récit la difficulté d'être homosexuel dans les années 1950. Entretien.








Un jeune homme s'interroge sur la vraie personnalité d'Emil, son père homosexuel qu'il n'a jamais connu. Pourquoi sa mère ne lui a-telle jamais parlé de cet homme, mort alors qu'il venait de naître? Sans la prévenir, l'adolescent part à Paris sur les traces du patriarche disparu. Homosexualité interdite, séjour en clinique psychiatrique et mariage forcé: l'enfant découvre peu à peu le calvaire de son père, un calvaire raconté par Alain Claude Sulzer avec retenue, puissance, et une délicatesse d'écriture qui semble, elle aussi, héritée d'un autre temps.

 

Le Nouvel Observateur - Vous racontez une histoire d'amour tragique. Est-elle inventée?

Alain Claude Sulzer - Oui. Le père du livre n'est pas mon père. Ce qui est vrai, c'est que mon père a eu très jeune une expérience psychiatrique. Il était le premier intellectuel dans une famille de paysans. Je crois qu'il voulait devenir acteur, il avait en tout cas des idées de grandeur qui n'étaient sans doute pas justifiées aux yeux de ses parents. Ils l'ont interné plusieurs fois dans une clinique. Il a souffert de plusieurs dépressions, toute sa vie durant, mais je ne sais si elles sont la conséquence de ces internements.

Vous ne lui en avez jamais parlé?

Non. Qu'est-ce que j'aurais pu lui dire? Il est encore vivant, mais il a totalement perdu la mémoire. C'est la raison pour laquelle j'ai pu écrire ce livre: je ne voulais pas qu'il puisse se reconnaître dans le personnage. En tout cas, c'était une autre époque. Une époque terrible pour les homosexuels.

Vous aviez de bons rapports avec vos parents?

Oui. Nous étions trois garçons. Il n'y avait guère de communication avec nos parents, mais ce n'était pas de leur faute. Nous étions pressés de partir. J'ai quitté, quant à moi, la maison à 19 ans. J'avais envie d'écrire des livres. Mes parents ne s'y opposaient pas. Ils ont toujours été très tolérants. Je lisais beaucoup. A l'école, je voulais être auteur sans même savoir ce que cela signifiait. J'écrivais des poèmes affreux. J'avais lu «les Bonnes», je l'ai réécrit en vers. Je n'avais rien à dire encore.

Mon premier roman était très autobiographique, il est épuisé, Dieu merci, car je le trouve épouvantable. Puis j'ai écrit des romans plus historiques. Un de mes livres se passe en 1914, dans un manoir en Suisse. Je me suis rapproché petit à petit de notre temps. «Une autre époque» se déroule dans les années 1950. En ce moment, je travaille à un livre qui se passe en une seule journée, à Berlin, en 2010.

Vous racontez la fugue du héros à Paris. Ca aussi, c'est inventé?

Non, c'est l'autre aspect autobiographique du récit. Quand j'avais 17 ans, je suis parti à Paris avec un ami sans rien dire à personne. On est descendus à l'hôtel. Personne ne s'est ému de notre situation, ce qui serait impensable aujourd'hui. Ce n'était pas une histoire homosexuelle, j'étais trop jeune encore. On était à Bâle et on a eu envie d'aller ailleurs. On aurait pu aller à New York, mais c'était trop cher. Donc Paris.

On a pris l'argent sur notre compte épargne. On a dû rester deux semaines. J'avais laissé une lettre sans dire où nous allions. Mais ma mère s'en doutait, semble-t-il. Mon frère est venu nous chercher, il nous a découverts par hasard près de l'Hôtel de Ville, à la poste où nous avions laissé une adresse et où nous venions parfois chercher le courrier. Fin de la fugue.

C'était la liberté?

C'était une drôle de liberté. Sans sexualité. C'était un avant-goût de la vie.

Vous étouffiez en Suisse?

Non, mais je suis reparti vers 20 ans, en Allemagne cette fois. Ma première langue est le suisse allemand, c'est vraiment autre chose que l'allemand. Je voulais parler une vraie langue. J'ai toujours voulu parler un allemand aussi pur que possible.

Cela dit, la Suisse n'était pas aussi étouffante qu'on le dit, surtout en ce qui concerne l'homosexualité. En Allemagne, jusqu'en 1967, l'homosexualité était un crime. Alors qu'en Suisse, dès après la guerre, vous pouviez faire, à partir de 21 ans, ce que vous vouliez, aux yeux de la loi en tout cas. Beaucoup d'homosexuels allemands sont ainsi venus vivre en Suisse.

Propos recueillis par Didier Jacob


source "le Nouvel Observateur", juillet 2011

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